Après une brève et non moins brillante introduction de Frère Hugo, Master of Ceremony, qui oublia consciencieusement de nous présenter Bruno Piettre, ce dernier (philosophe ? psychiatre ? historien ? comptable ? tourneur-fraiseur ?) prit la parole pour deux heures passionnantes sur le thème de l'Estime de Soi.
Si vous cliquez sur "Plus d'infos", vous trouverez une tentative de résumé de son exposé.
1. La construction de l’estime de soi
Bruno Piettre commence par une chronologie de la formation de l’estime de soi de la naissance à l’âge adulte. Pour plus de simplicité, nous avons ici remplacé le mot « enfant » par « Hugo » en espérant que Bruno Piettre nous pardonnera…
Les trois premières années : Si on peut considérer que le processus de formation de l’estime de soi d’Hugo a commencé dès la grossesse de sa maman, Bruno Piettre note que sa mémoire n’est apparue que vers l’âge de 2 ans et demi au moment où sa fontanelle s’est refermée (processus qui a pris 5 à 6 mois). Hugo, comme nous tous, ne se souvient donc pas consciemment de sa vie avant 2 ans. En revanche les événements de ces deux premières années sont imprimés dans son hippocampe et son amygdale, les sièges de la mémoire animale, celle qui gère nos peurs et nos mécanismes de défense. De nombreuses peurs d’Hugo ont donc été stockées et en quelque sorte « programmées » dans les deux premières années de sa vie. La formation du moi d’Hugo est alors en route : vers 9 mois il passe par le stade du miroir, se reconnait dans la glace et se sourit. Puis vers 2 ans le moi d’Hugo émerge, il dit "Je" pour la première fois presque en même temps que la grande révolte de 1968. Entre 2 et 3 ans, Hugo s’affirme et, comme tous ses copains au même âge, il adore dire « non » à ses parents et à sa nounou.
Bruno Piettre insiste sur le fait que le moi se fait par les expériences et qu’il faut donc laisser Hugo faire ses expériences tout en lui posant clairement des limites. Hugo attend ces limites (les teste souvent d’ailleurs) et si il n’en a pas, il est désemparé. Donc c'est normal qu’il renverse et casse le magnifique verre en cristal de tante Marcelle malencontreusement posé à sa portée. Il ne faut pas sur-réagir en punissant mais plutôt marquer son mécontentement et lui demander calmement de réparer ses bêtises.
Entre 3 et 6 ans : Hugo passe par 3 phases, l’opposition, l’imitation et la séduction avec le fameux complexe d’Œdipe au cours duquel il convient de remettre Hugo à sa juste place et « l'amour à son origine » c'est-à-dire bien préciser à Hugo que son papa et sa maman s’aiment et que c’est de cet amour qu’il est né. Bruno Piettre insiste sur le fait que trop de « mon chéri » (non Roland, pas les chocolats du quai d’Orsay) ou de « mon amour » à destination d’Hugo créent la confusion chez lui sur la nature de la relation avec sa maman (à fortiori avec son papa). Il est important au moment de l’Œdipe de faire prendre conscience à Hugo du fait qu’il s’inscrit dans une évolution et qu’il n’est pas le mari de sa maman. Il est un enfant qui deviendra un ado puis un adulte puis - enfin - un papa.
De 7 à 10 ans : Hugo a besoin d’être valorisé. Il faut lui faire découvrir le monde et accrocher une passion, c’est important pendant cette période que les parents soient des révélateurs de talents. Il faut aussi expliquer à Hugo comment marche la sexualité, sinon il l’apprendra tout seul par des sources extérieures…
La puberté (11-14 ans chez les filles, 13-17 ans chez les garçons) :
Hugo l'ado a une poussée d’hormones. Il se comporte à nouveau comme un bébé, pique des colères, est souvent distant puis a des besoins soudains de câlins, son horloge interne est déphasée… Hugo est dans la transgression. Il ne faut pas être susceptible avec Hugo l’ado : il veut juste avoir des arguments pour se réapproprier les valeurs qu'on lui a transmises. Ainsi sa contestation est essentielle pour la construction de sa personnalité et son appropriation des valeurs. Ses parents ne devraient pas prendre personnellement ses remarques désobligeantes… A la puberté, Hugo l'ado est obsédé par l’image de soi, par le regard de l'autre, il entre dans une phase narcissique : « suis-je populaire ? » est sa grande question existentielle...
Après l'adolescence : Hugo choisit pour la première fois sa voie (les études après le bac) et entre dans la phase de la réalisation de soi. Savoir lui demander « Qu'est ce qui compte pour toi ? » et lui faire confiance sont deux attitudes qui vont l’aider à bâtir sa responsabilité et sa personnalité.
C’est à ce moment là que les parents d’Hugo ont pu constater qu’ils avaient transmis à leur petit rouquin la capacité de choisir, cette aptitude étant la manifestation la plus forte de l'identité.
2. Qu’est ce que l’estime de soi ?
Il y a 7 éléments constitutifs de l'estime de soi (je n’en avais noté que 6, mais Bruno Piettre a gentiment accepté de relire et corriger la première version de ce post…)
L’amour de soi
Il faut faire remarquer à Hugo ses domaines d'excellence, lui renvoyer sa part de lumière... et aussi sa part d'ombre (attention à ne pas susciter de la surestime de soi…)
L’image de soi
Elle commence au jardin d'enfant et est extrinsèque. Le rejet des autres, qui altère l'image de soi, est souvent à double sens. Or, les cours de récréation sont devenues très violentes, certainement sous l’effet des jeux vidéo…
La connaissance de soi
L'éducateur doit jouer son rôle. Ne pas forcer, donner des perspectives, insister sur les petites réussites au bon moment. La connaissance de soi passe par les réussites personnelles. Dire à un enfant « Tu as une belle écriture » : on n'imagine pas l'importance que ça a !
Cet élément de l'estime de soi fait appel à la connaissance de soi (qui précède donc l'affirmation de soi) et développe la confiance en soi (qui donc la suit)
La confiance en soi
« Je peux le faire », ça commence très tôt. « Je sais que tu vas le faire » : la confiance de l’autre donne confiance en soi.
Le respect de soi
« C'est pas bon pour moi ». Le beau, le bon, le bien, le vrai doivent être enseignés par les parents pour que le respect de soi puisse se construire.
La maîtrise de soi : caractéristique de l'âge adulte
Savoir ressentir sans se lâcher ou se brider. A une remarque d'Hugo l’ado qui dit « Papa, tu n'es qu'un imbécile », plutôt que de s’énerver, son père pourrait lui répondre : « et encore t'as pas tout vu… »
3. Quel est le rôle de l’éducateur ?
Valoriser
Regards, appréciations, talents, passions
Distinguer
Distinguer le geste de la personne ("Juger les actes c'est se conduire en homme, juger les personnes c'est se prendre pour Dieu" St Augustin [commentaire de Bruno Piettre qui fait écho à une question posée par Patrice] ), ne pas condamner Hugo mais juger son geste et exiger le changement
Entreprendre
Faire prendre des risques à Hugo, le pousser à l’eau
Donner envie
Faire aimer la vie, donner le sens de l'effort et l’envie de se dépasser
Sport : essentiel pour l'estime de soi car génère de l’endorphine (quand le cœur bat plus vite)
S'ajuster
Ouvrir petit à petit les limites
Equilibrer les compliments et les reproches
Mettre en place des récompenses plutôt que des punitions
Transmettre
Savoir écouter pour apporter des réponses
Conclusion
Pour grandir l’enfant a besoin de 4 espaces :
Un espace de liberté
dans un cadre défini qu’on doit élargir
au fur et à mesure que l’enfant grandit
Un espace de tendresse
Regards, attentions, gestes
Un espace d’expression
Parole, art, sport
Un espace d’idéal
Rêve, envies, valeurs
Pour s’épanouir l’enfant a besoin de 3 mots :
Je crois en toi
J'espère en toi
Je t'aime
Et en cadeau Bonus de l’Ours Bleu, voici quelques phrases de Bruno Piettre glanées ici et là :
Le père est important pour le développement du langage, la mère pour le développement des émotions
La mère met au monde, le père remet au monde en disant « Vas-y, tu en es capable »
Passer de l'égocentrisme naturel à l'altruisme c'est tout le sens de l'éducation
Je commence à aimer quand je cesse de vouloir changer l'autre.
Et enfin quelques conseils de Bruno Piettre :
- Savoir dire non avec un grand sourire
- Dire plus souvent stop que non
- Eviter les invectives et les injonctions destructrices
- Ne pas surprotéger (on n'est pas là pour protéger Hugo, on est là pour l'aimer), ne pas soumettre, ne pas entrer dans un jeu de séduction
- Faire attention à l'abandon (arrêt d'une activité) et au perfectionnisme : la perfection est l'ennemi de l'estime de soi
- Rendre l'éducation ludique !
Un immense merci à Bruno Piettre pour ce moment fondateur !
Pour aller plus loin avec lui :
La psychanalyse efface-t-elle le sens du péché ?
Estime de soi et Autorité (un autre compte-rendu sur la même conférence)
Conférence sur le respect
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