samedi 7 avril 2012

Pour une éthique du langage


Tous ceux qui ont assisté à la deuxième conférence de l'Ours Bleu ont pu constater que Michel Lacroix fait de notre belle langue française un usage dont la richesse, la délicatesse et la précision ravissent les oreilles et le coeur.

Son livre "Paroles toxiques, paroles bienfaisantes", découvert par Séverine, parle justement du langage et de son usage. Il contient quelques trésors que j'aimerais partager avec vous. Ne vous arrêtez pas à son titre qui lui va assez mal à mon avis. Son sous-titre "Pour une éthique du langage" le définit beaucoup mieux et donne toute la mesure de l'ambition du propos de Michel Lacroix.


A l'éthique de l'action, le "que dois-je faire ?" de Kant, Michel Lacroix ambitionne en effet d'ajouter une éthique de la parole qui répondrait à la question "que dois-je dire ? et comment ?".

Pour celà, Michel Lacroix commence par rappeler l'importace du langage.

Le langage est le vecteur de notre relation aux autres. Si l'on considère qu'être en relation est notre manière la plus essentielle d'être pleinement vivants, le langage a donc une importance indiscutable, chacune de mes paroles ayant une incidence émotionnelle sur mon ou mes interlocuteurs.

Cette incidence peut être extrêmement toxique, comme - c'est bien connu - les injonctions, les dénigrements, les mensonges, etc.

Michel Lacroix mentionne un cas moins connu et que je trouve très intéressant : l'"injonction paradoxale" ou "double contrainte" (double bind en anglais) : "Prenons le cas d'un professeur qui dirait à ses élèves "Soyez spontanés". Il leur adresse une invitation à se comporter de façon libre, mais en même temps cette invitation leur est présentée sous la forme d'un ordre, ce qui est contradictoire avec l'idée de liberté. A travers un message unique, les élèves sont donc soumis à deux messages qui se contredisent. Ils entendent une chose et son contraire. En toute rigueur la consigne est impossible à appliquer. Les élèves sont dans une impasse". Cette injonction paradoxale est anodine mais il en existe de beaucoup plus spectaculaires. J'ai personnellement bataillé longtemps avec une injonction paradoxale qui a - avec pas mal d'autres choses tout aussi anodines - entravé mon cheminement vers l'autonomie : "tu dois aimer tes parents". Aimer est un acte libre, comment le concilier à un devoir ? Cette injonction a longtemps stérilisé mes interactions avec ma maman, jusqu'au jour où j'ai compris que je m'étais trompé sur le sens du commandement biblique qui dit "tu honoreras ton père et ta mère" et non "tu aimeras ton père et ta mère".

Cette incidence peut à l'inverse être extrêmement bénéfique. Le langage nous met au monde comme êtres de relations, ce que Michel Lacroix dit de belle manière : "Nous sommes tissés de paroles" et plus loin "les protéines sont les briques du corps, les paroles sont les briques de l'âme". 


Ainsi "pour comprendre les ressorts secrets d'une personne on n'a besoin, en définitive, de savoir qu'une seule chose : dans quel bain verbal cet être a-t-il été plongé ?"

Alors que dois-je dire ?

Pour vous donner les têtes de chapitres et l'envie de lire ce livre, je vous dirais juste que Michel Lacroix recommande une parole polie, attentionnée, positive, respectueuse des absents, tolérante, responsable du monde et d'elle-même et enfin - last but not least - vraie.

La première règle de l'éthique de la parole, la politesse, me semble la plus évidente et une des plus essentielles notamment pour les parents que nous sommes. En effet, il me semble que c'est en apprenant à nos enfants à être polis dans leur langage et dans leurs actes que nous imprimons dans leur corps, dans leur esprit et de manière quasi mécanique dans leurs moindres faits et gestes, l'altruisme, c'est à dire le soucis et le respect de l'autre.

Je laisse Michel Lacroix conclure par un paragraphe que je trouve très chouette :

"Le langage contient donc les germes d'une morale [...] cette morale enfermée dans nos interactions communicationnelles reste longtemps à l'état latent. Les êtres humains l'appliquent dans leurs interactions langagières courantes, mais ils n'ont pas forcément conscience de sa présence. Il faut du temps pour cela. Il faut du temps pour que les individus prennent conscience des valeurs qui sont implicitement au coeur de leur communication naturelle et pour que celles-ci, enfin explicitées, revêtent la forme achevée et complète d'une éthique de la discussion. Ce temps de la prise de conscience et de l'explicitation, c'est justement l'histoire de l'Humanité" ... et de chacun d'entre nous?
(yes ! j'ai eu le dernier mot !)

Merci à Michel Lacroix pour ce beau livre

Et merci à Sev, la maman de l'Ours Bleu, pour me l'avoir fait découvrir !

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