vendredi 27 avril 2012

Vita Activa vs. Vita Contemplativa

Soirée du jeudi 29 mars avec Michel Lacroix

Pour cette deuxième session de l'Ours Bleu, notre invité était Michel Lacroix qui a écrit un livre passionnant intitulé tout simplement "se réaliser" (aux éditions Marabout). Au cours de cette soirée, il a développé l'une des idées évoquée dans "se réaliser" : la différence entre vita activa et vita contemplativa.


Cliquez ci-dessous pour lire le compte-rendu détaillé de cette belle soirée !


"Se réaliser" c'est grandir, croître à la manière d'un organisme végétal. Cependant, si l'on pense à une fleur, à un arbre, la croissance est associée à une idée de programmation alors que nous sommes fondamentalement libres. C'est pourquoi Michel Lacroix préfère la métaphore du chemin de la vie car notre existence est jalonnée de croisées, de bifurcations. Ce 29 mars, Michel Lacroix s'est intéressé à l'une de ces bifurcations : le choix entre être actif ou contemplatif.

L'attitude contemplative est bien sûr prônée par la culture orientale. Mais on la retrouve également dans notre littérature occidentale. Ainsi, dans les rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau goûte à la plénitude de l'existence grâce à l'inaction; il est sans désir, sans projet. L'attitude active, elle, nous met sous tension; il s'agit de mobiliser son énergie et de se situer dans le mouvement. Dans cette vision, l'idée de projet est sous-jacente et c'est dans le "bondissement en avant" que l'être humain se réalise.

Un peu d'histoire

Sous l'antiquité, le moyen-âge et l'âge classique, la Vita Contemplativa était considérée (à l'image des ordres monastiques) comme ayant plus de valeur. C'est à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle que s'est opéré un renversement de la hiérarchie des valeurs : l'action prend le dessus. On voit ainsi apparaître de nouvelles figures comme le capitaine d'industrie, l'ingénieur, l'homme de presse, l'homme politique, l'arriviste, le parvenu... De nouveaux héros font leur apparition : Napoléon, Gambetta, Mermoz, Saint-Exupéry, André Citroën, Alain Bombard, ...

Au cours du 19ème et du 20ème siècle, la philosophie emboîte le pas à ce renversement de valeurs. L'action devient une valeur suprême avec Kant, Nietzsche, Marx ou Emmanuel Mounier (cher au coeur de Michel Lacroix)...

Aujourd'hui encore nous baignons dans la Vita Activa. Pour Michel Lacroix, cette primauté est justifiée : nous sommes l'addition de nos actes. Pour lui, une vie qui ne serait qu'une suite de "lâcher-prise", de méditations serait une vie inachevée. Cependant, il nous met aussi en garde contre les risques d'exacerbation, de radicalisation de la vision "activiste" de la vie.

Les dérives de la Vita Activa

1/ L'hyperactivité (et là, nous baissons tous le regard...)
Notre action devient une drogue... A titre d'illustration, Michel Lacroix indique que 40% des cadres déclarent ne pas pouvoir (ne pas vouloir?) se déconnecter du travail pendant les vacances et les week-ends.

2/ La fascination pour le combat
La deuxième dérive consiste à faire l'apologie de la lutte, à célébrer trop vivement les valeurs de compétitivité. "Tout bonheur est dans la lutte" écrit Nietsche.

3/ La logique du succès à tout prix.
Mon action doit être couronnée de succès pour permettre mon développement personnel.
Et nous cherchons d'ailleurs à mesurer ce succès par des critères extérieurs : argent, notoriété...
Cela témoigne d'une dépendance trop importante au regard des autres, d'un trop grand conformisme.

4/ Le fantasme de la grandeur
La dernière dérive consiste à croire que la réalisation personnelle n'est accessible qu'à un nombre restreint de personnes, une sorte d'élite; qu'une vie pleine et épanouie est réservée à un groupe de personnes très privilégiées et hors du commun.

Les garde-fous de Michel Lacroix

Selon Michel Lacroix, il faut être dans l'action mais il est aussi important de poser des sortes de garde-fous.

1/ Ne pas donner prise à cet aristocratisme, à cet élitisme
Il faut pour cela éviter toute comparaison entre les individus, toute hiérarchisation. Il faut en tout cas éviter les comparaisons "verticales". En effet, il existe de multiples formes de réalisation de soi : par le travail, la politique, les loisirs, la pratique artistique, l'écriture, la vie associative, la construction d'une vie conjugale... Pour chacun d'entre nous, il existe un secteur dominant, privilégié où nous investissons notre énergie. Jean-Paul Sartre parle de "projet existentiel".

2/ Redonner ses lettres de noblesse à des actions modestes (mon favori...)
L'intitulé parle de lui-même : il s'agit de se réconcilier avec l'ordinaire.

3/ Revenir à cette bifurcation entre la Vita Activa et la Vita Contemplativa.
Et rétablir un équilibre entre les deux. Comme nous sommes plus tournés vers l'action, il nous faut redécouvrir les valeurs de lenteur, de loisir paisible, les émotions contemplatives, la disponibilité face au monde, la tranquillité, le silence, la lecture, la solitude...

Michel Lacroix ajoute que ce dernier garde-fou devrait d'ailleurs avoir un effet positif sur le collectif, et plus précisément sur notre environnement. Car ce dernier garde-fou nous incite à nous détourner des valeurs "acquisitives" et ainsi à passer de l'avoir à l'ETRE. (là encore, j'adore...).

En conclusion, Michel Lacroix revient sur une idée forte de son livre. Pour opérer ce changement, on peut être tenté de se tourner vers les philosophies de l'Orient (méditation, yoga...) mais on peut aussi s'inspirer de penseurs occidentaux comme Rousseau, Goethe ou Gide. A vos classiques !

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